Qu’on le veuille ou non, nous sommes imprégnés des récits de hantises et de fantômes qui abondent dans les traditions populaires mondiales. Les histoires mettant en scène esprits frappeurs, ectoplasmes, résidences privées ou publiques possédées (avec d’éventuelles ingérences démoniaques) ne varient guère d’un continent à l’autre. Qui que nous soyons et d’où que nous provenions, nous avons entendu parler de ces phénomènes : bruits de chaînes lugubres, suintements sanguinolents, lamentations sépulcrales, odeurs méphitiques, portes qui claquent, literies retournées, pendules détraquées, crucifix renversés et autres déplacements d’objets.
Des pulsions mystérieuses nous poussent presque honteusement à vouloir, à l’occasion, entrer en contact avec le monde des morts. Notre qualité d’humain, créature déclarée perdante – depuis le premier souffle – dans ce combat engagé contre la mort, n’est pas étrangère à ce désir. Celui de pousser les portes de l’invisible et de résoudre le mystère de cette fin qui s’empare de tous sans discrimination.
Puisque le 21e siècle rationaliste écarte d’emblée les services d’un extralucide, de ses rituels et accessoires ésotériques, optons pour un stratagème mieux toléré. Celui de la fiction et d’un média associé (coïncidence, le terme n’est autre que le pluriel mal employé de médium) : cinéma, séries, littérature, récits dessinés et autres expressions artistiques. Une fois l’obscurité faite dans la salle, dans le salon ou dans nos propres cerveaux, nous voici soudain dotés de la capacité de dialoguer avec l’au-delà. Abrités pour un temps sous le paravent de la fiction, nous cédons aux pouvoirs d’un imaginaire ancien et à des croyances symboliques refoulées.
" Dès qu’il eut franchi le pont, les fantômes vinrent à sa rencontre Nosferatu, une symphonie fantastique "
Nosferatu: A Symphony of Horror (Friedrich W. MURNAU.1922)
Le cinéma, on s’en doute, porte une affection particulière à nos chers revenants. Ce qui apparaît, au regard de ses spécificités, bien (sûr) naturel : qui, mieux que lui, est susceptible de nous faire croire à l’impossible, à l’extraordinaire ?
Sans entrer dans les considérations sophistiquées de Jacques Derrida qui interroge la dimension spectrale de l’appareil cinématographique, on peut citer l’institut d’Aix-en-Provence qui consacra quelques soirées sur le sujet et qui pose cette question (inspirée par les réflexions du philosophe) : le cinéma n’est-il pas, par essence, l’art qui fait revenir les morts ? Indiscutablement. Que son propos soit fantastique ou non, le cinéma n’a pas que le luxe de perpétuer les récits et personnages du patrimoine fictionnel, au mépris de toute considération temporelle. Il rend souffle et vie aux acteurs décédés qui y ont apporté leur concours et offre une immortalité non moindre aux réalisateurs qui les ont filmés.
Renouer avec les disparus fameux n’impose pas de partir vers quelque destination spirituelle inconnue. Il n’y a qu’à se rendre dans une salle obscure ou presser la touche lecture de sa télécommande. Les fantômes viendront à notre rencontre.
Comportements déplaisants
On le sait, les visites des trépassés s’accompagnent de désagréments qui nuisent à la santé psychologique de leurs victimes. Le spectre est porté sur le mauvais tour (infernal). Mais que veulent-ils donc ?
Ils harcèlent pour se venger ou pour réparer une faute (qui ne revient pas nécessairement à ceux qu’ils tourmentent). Ils hantent les coupables qui leur ont porté préjudice pour les pousser au suicide ou au crime. Ils s’amusent, à l’occasion, à investir les enveloppes corporelles des vivants pour les posséder un peu plus. Ou ils les soumettent à des hallucinations, créées par leur soin, pour les acculer à la folie. Parfois, tel un avertissement divin, l’apparition de ces âmes en peine revanchardes est à interpréter comme un intersigne létal (ce qui a le don de gâcher des vacances scrupuleusement planifiées). Ces taquineries sont motivées par de très prosaïques préoccupations : ils sont en quête de repos éternel, ont été privés de sépultures, de sacrements chrétiens, ont péri de mort violente dans des circonstances non élucidées ou ont envie de poursuivre leurs activités favorites (tel le meurtre de masse) au-delà de leur temps terrestre. Plus rares sont les cas d’âmes perdues qui asticotent les vivants au seul motif qu’ils le sont.
Mais nous leur pardonnons car ils sont à la fois à notre ressemblance et les miroirs déformés de nos culpabilités. Les insepulti (les sans sépultures), les immaturi (morts avant l’heure) ou encore les biothanatoi (victimes de mort violente tels que les assassinés, les suppliciés et certains suicidés) nous en apprennent beaucoup. Car en nous épouvantant, ils cherchent à nous éveiller à la conscience réelle des abominations commises par les hommes. Les fantômes sont aussi porteurs d’un message de justice. Le Bien doit éclairer notre passage sur cette terre ou nous aurons maille à partir avec les officiers de l’au-delà.
Plus encore, si les fantômes existent, errant entre les rives de la vie et de la mort, effaçant les frontières entre elles, c’est qu’il y a un territoire plus souriant où nous poserons définitivement nos valises. Bien sûr, tout dépend de nos croyances préliminaires à ce sujet.
Le festival Court Métrange, pour cette seizième édition, consacre sa thématique aux fantômes et (évidemment) ça va être mortel.
Dossier réalisé par Steven Pravong en collaboration avec Cyrielle Dozières