Après
avoir rendu hommage aux courts métrages de Roman Polanski, de Jan
Svankmajer, Court Métrange vous propose cette année les redoutables
Frères Quay à l’univers baroque, poétique et
d’une noirceur déconcertante ...
Après visionnage, on se dit qu’on vient de traverser une multitude
de mondes aussi émouvants qu’énigmatiques.
Stephen et Timothy Quay sont nés à Norristown (Pennsylvanie)
en 1947. Ce sont de vrais jumeaux, quasi identiques. Après avoir
étudié le graphisme et l’illustration aux Beaux-arts
de Philadelphie, ils quittent les Etats Unis pour Londres à la fin
des années 1970. Ils poursuivront leur formation au Royal College
of Art.
Ils réalisent ensuite leurs premiers courts métrages d'animation
à base de marionnettes et créent leur société
de production avec le soutien du producteur Keith Griffith : Les Koninck
Studios. Ils produiront également des jingles, des clips expérimentaux
et des documentaires. « Sous influence » du maitre Svankmajer,
que les frères admirent depuis toujours, et d’une certaine
littérature du cinéma (Tarkovski, Bergman, Dreyer), ils réalisent
des œuvres de fascination et d’épouvante. En 1995, ils
réalisent leur premier long métrage, "Institut Benjamenta",
qui mêle animation et personnages réels.
IN ABSENTIA
2000, couleur/n&b - 20 min - 35 mm scope -
dolby sr
Quinzaine des réalisateurs 2000
STILLE NACHT I
1988, 1‘ 21. noir&blanc, 35 mm
STILLE NACHT II
1991, 3’ 35. noir&blanc, 35 mm mm scope - dolby sr
STILLE NACHT III
1992, 3’ 30. noir&blanc, 35 mm
STILLE NACHT IV
1993, 3’ 30. noir&blanc, 35 mm
LA RUE DES CROCODILES (Street of Crocodiles)
1985, 21’. couleur et noir &
blanc, 35 mm
RÉPÉTITIONS POUR DES ANATOMIES DÉFUNTES
(Rehearsals for Extinct Anatomies)
1987, 14’. noir&blanc, 35 mm
LE PEIGNE (The Comb)
1990, 18’. couleur et noir&blan
35 mm
Un dossier de Guillaume Massart pour www.filmdeculte.com
Un monde aux apparences trompeuses, fait de faux-semblants,
d'images qui tressautent, de bric et de broc, source d'autant de fascination
que de malaise. Un univers baroque, raffiné, poétique, parfois
d'une opacité déconcertante, parfois d'une évidence
lumineuse, gorgé d'influences littéraires, cinématographiques
et musicales diverses, hypnotique et dérangeant. Voilà ce
à quoi nous convient deux génies du cinéma d'animation,
Stephen et Timothy Quay. Au fil d'une filmographie longue de près
de trente titres, les jumeaux étranges de l'animation britannique
se sont inventé un langage propre, chorégraphique, fait de
signes, de détails et de gestes mécaniques, complètement
ouvert à l'analyse et refusant frontalement les règles du
cinéma dominant.
Le cabinet de Stephen et
Timothy ...
Dans le bois de l'escalier qui mène aux Koninck Studios, la
légende veut qu'une voisine superstitieuse ait gravé "evil
twins", apeurée par les activités peu catholiques des
frères Quay. Nés à Norristown (Pennsylvanie) en 1947,
Stephen et Timothy sont en effet de vrais jumeaux, quasi identiques. Après
avoir étudié aux Beaux-arts de Philadelphie, ils émigrent
à Londres, à la fin des années 70, où ils intègrent
le Royal College of Art, et y réalisent leurs premiers films d'animation
à base de marionnettes. Récompensés pour Nocturna Artificiala,
il fondent en 1980 leur propre studio, soutenus pour le producteur Keith
Griffiths. Depuis lors, dans cet atelier du Sud de Londres, où les
"acteurs" matériels de leurs films se superposent en strates
comme des vestiges archéologiques, ils couchent sur pellicule un
large éventail d'œuvres dont évidemment leurs animations
de marionnettes, mais encore des documentaires culturels, des interludes
graphiques pour des diffuseurs ou des publicités de télévision.
Leur filmographie comprend également des documentaires sur Stravinsky,
Janacek, Jan Svankmajer, l'art de l'anamorphose ainsi que des films inspirés
de l'œuvre littéraire de Michel de Ghelderode, Kafka, Bruno
Schulz et Robert Walser. On leur doit aussi les décors des productions
de théâtre et d'opéra du directeur Richard Jones: L'Amour
des trois oranges de Prokofiev, La Puce à l'oreille de Feydeau, Mazeppa
de Tchaïkovski et Le Bourgeois Gentilhomme de Molière.
Néanmoins, hors des circuits économiques classiques, les frères
ne vivent que difficilement de leur art, peu sollicité par les médias.
"Les petits projets arrivent à passer, mais pas question d'aller
voir Channel 4 avec un projet d'animation de vingt minutes, quelque chose
qui nous plairait vraiment. Nos tiroirs sont pleins de projets, mais on
ne peut pas les lancer, car ils ne sont pas considérés comme
des projets importants. [...] On ne peut même pas courir après
des commandes, il n'y en a pas. [...] Il n'y a presque rien pour l'animation.
Et la pub ne marche plus depuis le 11 septembre; tout le monde est devenu
conservateur, se protège. Ce n'est pas une bonne période pour
l'animation", déplorent-ils amèrement. Pourtant, en une
vingtaine d'années, ils se sont révélés comme
les maîtres de l'animation en miniature et sont devenus une source
d'inspiration pour la génération montante (Fred Stuhr, par
exemple). Lorsque, en 1995, leur premier film de long métrage, Institut
Benjamenta, voit le jour (sorti en France le 23 février 2000), la
critique tire unanimement son chapeau à l'inventivité des
Brothers. Télérama parle d''"éblouissante féerie
visuelle en noir et blanc" et de "poème magistral",
les Inrockuptibles de "conte onirique [...] aux personnages aussi émouvants
qu'énigmatiques", tandis que Terry Gilliam lui-même le
considère comme "le film visuellement le plus beau, le plus
envoûtant et le plus drôle qu'[il ait] vu ces trois cent dernières
années", et confesse : "Je suis très jaloux".
Pourtant, réalisés essentiellement à base de matériel
de récupération, les films des frères déroutent,
par leur surréalisme sombre, et frôlent parfois l'incompréhensible.
Qu'importe cette difficulté d'accès, c'est la poésie
intrinsèque aux œuvres des Quay Brothers qui fascine, sinon
épouvante. "Les frères Quay ont réussi de manière
très personnelle à renforcer ces indispensables frontières
qui séparent un certain cinéma d'animation des films pour
enfants", affirme Jean-Baptiste Hanak. Reste à comprendre comment.
Dieu se niche dans le détail
...
L'origine des films d'animation des frères Quay, en dépit
de leur diversité, est invariablement d'ordre sensoriel. Le sens
visuel, évidemment, prévaut, mais il n'est pas exclusif. A
la différence du cinéma en prises de vue réelles et
du cinéma d'animation sur celluloïds, l'animation image par
image nécessite une intervention tactile, physique, avec les "acteurs".
Le toucher - ou en tout cas l'impression du toucher - s'avère de
fait primordial dans le cinéma des frères Quay. L'objectif
premier des jumeaux est de faire ressentir le volume, les aspérités
et la texture des objets mis en scène. La trame scénaristique
s'avère en conséquence secondaire, car c'est avant tout à
un art du détail qu'on a affaire, ainsi qu'André Habib le
remarque justement : "Penser les films des frères Quay, c'est
penser le 'petit', le 'mineur', les 'objets écartés', le 'négligeable',
en d'autres mots, c'est interroger le 'détail' et, de là,
poser la question du détail, par rapport à la totalité
synthétique, l'ordre et la cohérence narrative".
Aussi,
le fait que les "acteurs" préexistent au film participe
à cette démarche. En amont de tous les films des frères
Quay, il y a une recherche de l'objet auquel la pellicule pourra donner
vie, c'est-à-dire animer. "La plupart des objets qui nous intéressent
sont des objets qui ont été jetés, dédaignés
ou ignorés par des enfants qui cherchaient sans doute des objets
plus attirants. Pour nous, dans un objet, il y a des souvenirs, des traces
de souvenirs. Ce que nous aimons, c'est insuffler une deuxième vie,
une troisième... ou une vingtième vie à cet objet".
D'où la sensation fréquente de se trouver face à un
musée des monstres façon Tod Browning, un inventaire d'objets
humides, sales, en décomposition, biscornus, cassés ou poussiéreux,
qui par leur présence même éveillent diverses sensations.
"Ce n'est pas ordonné. C'est le hasard qui nous fait rencontrer
un projet. Je crois que c'est parfois le fait que cet objet est isolé
au milieu d'autres objets étranges qui provoque un déclic
dans notre sensibilité. Souvent on se tourne l'un vers l'autre et
on se dit : 'Voilà !'. Il est là, il nous raconte une histoire
ou nous propose une histoire future, ce n'est pas forcément immédiat.
Alors on l'achète et on le met sur une étagère en attendant
qu'il nous propose quelque chose. Parfois, c'est forcé, on n'acquiert
pas une créature parfaite, aux proportions parfaites. En général
elles sont difformes. On préfère. boiteuses, mais elles boitent
admirablement. D'un côté, c'est très beau". C'est
l'étrange manège de ces vis tordues, de ces marionnettes disloquées,
de ces poupées mutilées et de ces rouages rouillés
qui au premier chef donne leur atmosphère vaporeuse aux films des
frères Quay. C'est la vie après la vie de ces objets de récupération
qui subjugue et transporte le spectateur. D'un point de vue strictement
technique, le cinéma des Quay est aussi méticuleux que ce
qui est filmé. "Nous n'avons pas d'équipe à nos
côtés comme certains studios d'animation qui travaillent à
sept ou huit. Nous pensons qu'il est beaucoup plus simple de travailler
tous les deux pour des raisons de temps et d'idées. Nous pouvons
ainsi prendre la décision de tout démonter pour refaire un
plan". Ce qui ne signifie pas pour autant que leur technique soit minimaliste.
Ces innommables petits
ballets ...
Au contraire, avec plus de vingt ans de métier derrière eux,
les jumeaux ont su évoluer avec leur art et rester en quête
perpétuelle de nouvelles sensations visuelles, gardant en tête
le souci constant de les considérer comme des outils et non comme
une fin en soi. "La publicité [...] nous a permis d'explorer
un peu la technologie numérique, les effets... Si l'on s'en sert
dans nos films, ce sera invisible, on ne veut pas que ce soit criant, il
faut que ce soit intégré au contexte". En témoignent
leurs travaux sur la technique de l'anamorphose menés sur De Artificali
Perspectiva or Anamorphosis, qu'ils exploitent désormais afin de
donner une nouvelle dimension à leurs films (In Absentia est projeté
en Scope, avec une lentille anamorphique, Rehearsals for Extinct Anatomies
profite aussi de ce procédé et les frères Quay souhaitent
qu'il en soit également de même pour Street of Crocodiles).
Aussi, si la diffusion de leurs œuvres est faible et se fait souvent
par le biais de la télévision, les films ont avant tout été
pensés pour être diffusés sur un écran de cinéma:
"Lorsque vous regardez une marionnette à la télévision,
vous quantifiez la taille de la marionnette en tant que marionnette. Elle
est effectivement haute de six pouces, parfois un peu moins. Lorsqu'elle
apparaît sur un grand écran, vous trahissez cette échelle.
Mais soudainement vous gagnez, parce que la marionnette prend une dimension
humaine, parfois même elle est plus grande. Sur un grand écran,
un objet vu en plan rapproché est encore plus déconcertant,
et c'est très puissant et très beau. Le visage du spectateur
se trouve encore plus collé à cet objet. Vous voyez une pointe
de crayon, une jointure, magnifiée, et c'est surprenant". On
retrouve ainsi cette obsession du détail, de la viscosité
des textures captée par la pellicule déjà évoquée.
"Cette présence est une chose qu'il faut voir et sentir. Le
35mm est merveilleux pour ça".
Si la vue et le toucher sont au premier rang du cinéma des frères
Quay, l'ouïe n'est pas non plus en reste. La musique et les bruitages
complètent en effet les films et achèvent de leur façonner
une atmosphère. Outre son apport évident sur l'ambiance, sur
l'atmosphère générale, la musique révèle
parfois des choses, ou amplifie certains effets. Sur Rehearsals for Extinct
Anatomies, par exemple, c'est la musique de Leszek Jankovski, artiste polonais
qui collabora à plusieurs reprises avec les frères, qui débloqua
le projet, englué, comme déjà évoqué
plus haut, dans des intentions kafkaïennes. La musique, avec ses rythmes,
ses temps forts et faibles, ses reprises ou ses échos, permet ainsi
de combler les creux du scénario, en construisant une continuité
close à l'intérieur duquel le film peut se déverser.
"Nous partons toujours d'un scénario très souple. Une
sorte de canevas général. Une fois que le film est en chantier,
nous construisons des décors, nous divisons à nouveau le scénario,
nous commençons à véritablement écouter la musique.
Et le film prolifère organiquement comme ça. Nous commençons
à filmer, et les rushes nous arrivent le lendemain. Nous étendons
le film sur la musique et nous tentons de voir si cela fonctionne. Si ça
ne fonctionne pas, nous filmons à nouveau. Et ça avance de
cette manière-là, jusqu'au bout". La musique participe
donc de la genèse empirique des films des jumeaux, la soutenant dans
sa progression tâtonnante. Les bruitages agissent d'ailleurs dans
le même sens. Dans Street of Crocodiles, par exemple, une étrange
machine produit un souffle régulier, autour duquel se déploie
tout l'univers capturé par la caméra, comme si c'était
son cœur qui battait et imprimait le rythme général
du film. Tout ceci ajoute à l'atmosphère vaporeuse des courts-métrages
et est partie intégrante des films. Ce qui peut aussi les sauver
de l'obscurantisme.
Des films sous influences
...
Le sens de la plastique symbolique et énigmatique des jumeaux Quay,
s'il est au cœur de leur cinéma, ne se suffit en effet pas
toujours à lui-même. S'ils admettent leur "fascination
pour les machineries fabuleuses", les frères n'en revendiquent
pas pour autant la paternité et confessent volontiers que "tous
ces appareils incroyables (poulies, treuils...) sont sortis de l'imaginaire
de créateurs utopistes, à l'exemple de ces machines virtuelles
décrites par Raymond Roussel dans Locus Solus. D'ailleurs, nous rattachons
notre travail à la tradition des automates, et l'animation nous a,
pour ainsi dire, permis de refaire fonctionner leurs rouages". La filmographie
des Quay Brothers repose donc sur un gigantesque réseau d'influences
où se croisent Bergman, Paradjanov, Dovjenko, Baldine, Franju, Borowczyk
ou encore Tarkowski. "Ce sont tous des poètes qui ont ce sens
du langage des images qu'on retrouve dans l'animation, et pour qui le scénario
n'est pas la clé de voûte d'un film". Minés par
un sentiment proche de la culpabilité d'être nés aux
Etats-Unis, les jumeaux cherchent en un sens à se racheter de leurs
origines en revendiquant une appartenance culturelle à l'Europe:
"Notre pays nous semble terne. [...] En Amérique, il y a tant
de choses grossières, prétentieuses et stupides, insulaires
! [...] Pour nous, être ici, en Europe, est une immense source d'inspiration.
D'une manière ou d'une autre, on n'est pas nés au bon endroit,
mais nous nous sommes toujours tournés vers l'Europe et nous avons
trouvé notre inspiration dans ce contexte".
L'une des références majeures des cinéastes n'est autre
que le tchèque Jan Svankmajer, à qui ils destinèrent
un documentaire en 1984. Muse de cinéastes tels que Tim Burton, le
monde de pâte à modeler et d'objets hétéroclites
de Svankmajer, tout à la fois fantastique, inquiétant et drôle,
fortement empreint de surréalisme étrange et morbide, fait
irrémédiablement penser à un Street of Crocodiles,
par exemple. Néanmoins, les frères Quay se détachent
de Svankmajer par bien des points. En effet, si, à l'image du réalisateur
de Dimensions of Dialogue (1982), les films des jumeaux prennent place dans
des mondes âpres et encrassés, l'approche personnelle - que
l'on pourrait qualifier de romantique, voire de gothique, en tout cas de
baroque - de ces univers en rend l'appréhension différente.
Ainsi, là où Svankmajer se contente de penser ses films en
terme de design et laisse d'autres animer à sa place, les frères
Quay s'investissent tout au long de leur production. D'un autre côté,
là où Svankmajer s'applique à respecter une trame onirique
mais construite, l'intrigue des films des jumeaux est souvent réduite
au minimum, reste ouverte à toutes les interprétations et
se résume parfois à une ambiance (voir les Stille Nacht).
Institut Kafka ...
Pourtant, il serait erroné de considérer, du moins pour ce
qui est de la démarche et de la volonté des cinéastes,
les films des frères Quay comme des objets non-sensiques. En effet,
outre les références cinématographiques citées
ci-dessus, de nombreuses influences littéraires sont revendiquées
par les jumeaux. "C'est dur à définir, mais quand on
avait 19 ans, à la bibliothèque, on lisait des magazines...
Les journaux graphiques du lycée, et le nom de Kafka y était
mentionné. Il y avait même un poster 'kafkaïen'. On a
demandé au bibliothécaire ce que ça signifiait : 'Regardez
dans le dictionnaire.' Il n'y avait rien dans le dictionnaire. Maintenant,
ça y est sûrement. Et, le jour-même, nous avons découvert
Kafka à la bibliothèque. C'est comme une constellation qui
s'est ouverte à nous". Jamais cette influence ne se reniera
tout au long de l'œuvre des frères Quay. L'art de Kafka, épistolaire,
intimiste et énigmatique, entre en effet en parfaite adéquation
avec la filmographie très personnelle, codifiée et maniérée
des jumeaux. "Notre approche de Kafka a toujours été
informée par ce que nous avons découvert en premier, c'est
à dire son Journal. Et ce qui nous avait complètement fascinés,
c'était ce côté inachevé, la qualité fragmentée
de son écriture. Comme le début d'une idée, ou d'un
thème qu'il avait abandonné. Il nous a toujours semblé
que dans ces fragments se trouvaient des constellations qui vibraient, qu'ils
étaient complets dans leur inachèvement. Vous n'avez pas à
en savoir plus, puisque vous sentez qu'un petit bout de vie à été
arraché et que sa texture est là". D'autres auteurs,
tels que Walser et Schulz, semblent appartenir à cette même
famille artistique et servent en conséquence, de leur propre aveu,
de "réservoir psychotique" aux Quay, qui adaptèrent
certaines de leurs œuvres sur grand écran (Streets of Crocodiles
est une adaptation libre de la nouvelle éponyme de Bruno Schulz et
Institut Benjamenta est inspiré quant à lui du Jacob von Guten
de Robert Walser). "C'est une approche très intimiste. Et c'est
cela que nous aimons. Ils n'essaient pas d'écrire de manière
grandiose, ce qui nous intimiderait". Les Quay admirent également
Hoffmann, dont le célèbre conte Le Marchand de Sable leur
a inspiré The Sandman en 2000.
The Phantom Museum ...
Face à un tel tissu de références (auxquelles l'on
pourrait ajouter de nombreux grands noms, à commencer par Dali, Buñuel
ou encore Michaux), il serait aisé de chercher à coller une
étiquette, la plus évidente étant sans doute celle
du surréalisme, école dont relève et pour laquelle
milite d'ailleurs Svankmajer. Mais ce serait courir le risque d'être
réducteur. Car les frères revendiquent leur liberté,
leur non-appartenance à tel ou tel groupe qui validerait ou non leur
travail. C'est donc avec ferveur qu'ils aiment à affirmer: "Nous
ne militons pas pour le surréalisme. [...] Ce qu'on fait est essentiellement
de la poésie. Tous les cauchemars sont surréalistes. Nos rêves,
eux, restent ouverts et peuvent, oui, être perçus comme surréalistes".
Pourtant le cauchemar n'est jamais loin: "Espaces claustrophobes, personnages
énigmatiques, mains qui bougent, environnements inquiétants,
surcharge d'objets et de matériaux les plus éclectiques",
c'est par ces quelques mots que Raphaël Bassan résume le cinéma
des frères Quay. Et il est vrai qu'en dépit des multiples
interprétations possibles de l'univers des jumeaux, l'on en revient
toujours à cela: les objets, les textures, les détails. C'est
peut-être là que se trouve la clé de la fascination
du spectateur pour le cinéma en volume. "Dieu niche dans le
détail", disait Aby Warburg. Les films des frères Quay,
en rendant palpable la sensation étrange de voir des objets familiers,
du quotidien, s'animer et mener une danse macabre, ouvrent la porte à
un monde de fantasmes, de peurs primales et d'angoisses enfantines, dont
les animateurs seraient les maîtres et semblent conforter cette affirmation.
EN SAVOIR PLUS
Les frères Quay s'alignent dans la continuité du cycle Les Excentriques du Cinéma Anglais, aux côtés, entre autres, de Phil Mulloy, Andrew Kötting ou Bill Plympton, proposé par E.D. Distribution, qui distribue d'ailleurs un DVD de huit de leurs courts métrages.
- L'anamorphose est une technique artistique, utilisée notamment en peinture aux XVIe et XVIIe siècles, consistant en une distorsion visuelle qui joue sur la relation entre l'œil et ce qu'il perçoit.
- Jan Svankmajer est notamment le réalisateur du célèbre Alice (1987), adaptation animée du Alice In Wonderland de Lewis Caroll. Pour donner une idée du personnage, voilà ce que l'on a pu lire dans le New-Yorker à son sujet: "Le monde des cinéphiles se divise en deux camps: ceux qui n'ont jamais entendu parler de Jan Svankmajer, et ceux qui, étant tombés sur son œuvre, savent qu'ils font face à un génial".