Archives 2005
Hommage
République Tchèque

Invité du festival :
L’école supérieur de cinéma de Zlin (province de Brno)


 
L’école de cinéma de Zlin a été fondée en 1922 par Elmar Klos ( Oscar du meilleur film étranger pour ‘The shop off main street’ en 1965) afin qu’y soit dispensé un enseignement couvrant tout ce qui a trait à la production cinématographique, radiophonique et vidéo. L’école offre des possibilités idéales de travail en équipe de création afin de mettre en valeur toute connaissance et expérience dans l’ensemble des disciplines de base nécessaires à la création d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles. Elle est située sur les lieux mêmes des studios de Zlin et les étudiants sont donc en contact direct avec l’industrie du cinéma tout au long de leurs études.

Des étudiants étrangers sont inscrits dans tous les programmes et commencent leurs études par des cours de langue tchèque qui ont lieu du 22 août au 5 septembre. Ces cours sont suivis d’un semestre pendant lequel sont abordées toutes les disciplines de base comme l’histoire de la culture et du cinéma, le tchèque, la direction et les techniques de production (cinéma, vidéo, audio) ainsi que la publicité. Dans l’état actuel des choses, ces cours ne sont dispensés qu’en tchèque. Cependant, nous fournissons aux étudiants étrangers les grandes lignes du programme en anglais.

 

Lukas Zahor, directeur de l’école de Zlin :

Né en 1980, il est titulaire d’un diplôme d’études secondaires tchèque et de son équivalent obtenu en Californie. Diplômé de l’école de cinéma de Zlin ( section image et son) Ses passe temps favoris sont la composition musicale et le montage. Étant essentiellement un technicien, il se consacre aussi, en free lance, à la création de sites et applications web.
Il travaillais depuis trois ans à la mise en place de son propre studio lorsque qu’il a été contacté par les nouveaux propriétaires de l’école de cinéma de Zlin qui lui ont proposé de les aider à renouveler l’esprit de l’école. Il a accepté en 2003 et y travaille depuis en la qualité de directeur. Son studio est toujours en activité et il signe en ce moment un contrat avec la télévision tchèque en vue d’une nouvelle série de marionnettes animées sur laquelle travailleront des étudiants et d’anciens élèves diplômés de l’école de Zlin.

 

  
 

LA PROGRAMMATION
REPUBLIQUE-TCHEQUE 2005

Samedi 22 octobre 2005 :
14 h : ECOLES de cinéma ZLIN (République Tchèque) / ESRA
  
Rétrospective des films de l’école de Zlinet Panorama sur l’ESRA Rennes (1h30)
 
1 - Easy rider de Stefan Capko
2 - Moloch de Ales Pavlik et Michal Kudlacek / animation
3 - Solo Mutant de Markety Plache / animation
4 - Glosa de Maketa Palcha / animation
5 - Electroschock de Michal Kubicek / animation expérimentale et fiction
6 - Dr.Psycho de Michal Kubíček / animation
7 - Colombia de Samuel Cheguillaume / Fiction / ESRA 3ème année
8 - Projet Orbis de Thomas Chevet et Charly Lecomte/ Fiction / ESRA 3ème année
9 - Creature from under the bed de Yann Le Cornec / Fcition / ESRA 1ère année

 

Vendredi 21 octobre à 18h
et Samedi 22 octobre à 18 h :
  
Courts métrages de JAN SVANKMAJER (1h30)
 
1 - Darkness-light-darkness (Obscurité – Lumière – Obscurité) 1989 / Béta SP / 8 ‘
2 - Manly games (Jeux virils) 1988 / Béta SP / 15’
3 - The pendulum, the pit and hope (Le pendule, la fosse et l’espoir) 1983 / Béta SP / 16‘
4 - Quiet week in a house (Semaine tranquille dans une maison) 1969 / Béta SP / 20 ‘
5 - The fall of the house of Usher (La chute de la maison Usher) 1980 / Béta SP / 16’
6 - Coffin factory (Usine de cercueils) 1966 / Béta SP / 10’
7 - The Flat (L’appartement) 1968 / Béta SP / 13’

Jan Svankmajer

 

Source des articles : http://www.lapropagationduchaos.net

 
 

Comment aborder ce monument qu'est Jan Svankmajer ? Impossible en quelques lignes. Aussi tenterons-nous au mieux d'effleurer ce génie. Car il s'agit bien là d'un des grands pionniers de l'animation, et plus particulièrement de l'animation en volume, au même titre que Chuck Jones, Walt Disney ou Ozamu Tezuka. Un pionnier honteusement méconnu du grand public (merci à Arte de diffuser de temps en temps ses oeuvres dans ses programmes courts) qui a réussi à insuffler à l'animation une profondeur de sens rare, qui va fouiller dans les recoins de l'inconscient humain. "Dans les vieux grimoires des sorcières, on disait que pour chasser un démon ou un monstre, il fallait trouver son nom. C'est la méthode que j'utilise pour chasser mes angoisses et mes peurs. Je les nomme dans mes films." : l'animateur tchèque résume dans cette phrase tout son art.

Dans son univers bizarroïde, des steaks dansent le tango et copulent dans la farine, une étrange cuisinière fabrique des cookies en charbon dans une cave ou encore les objets d'un appartement en font voir de toutes les couleurs à son locataire. Mais ces débordements surréalistes trouvent toujours un écho dans notre psyché ou une interprétation politique ou sociale, si bien que souvent ses films furent censurés pour les idéologies qu'ils véhiculent. D'ailleurs ses films ne parlent pas, ils utilisent à 100% le langage cinématographique, des images et des sons, pour faire passer ses messages. Et si le grand public connaît peu le bonhomme, beaucoup de réalisateurs avouent ouvertement avoir été influencés un jour ou l'autre par son travail, comme Tim Burton, Darren Aronofsky ou bien Milos Forman, qui l'a décrit comme le croisement entre Walt Disney et Luis Bunuel, bref un drôle d'hybride...

Mais essayons d'aborder plus en détail cet univers infiniment riche, tantôt onirique tantôt cauchemardesque. Et ce au travers de quatre oeuvres emblématiques de la "Svankmajer Touch" : les deux longs métrages Alice et Little Otik, et les deux courts Possibilités du dialogue et Food.

 

ALICE (1987)

Comme le sale gosse qui aime détruire ses jouets, Svankmajer prend plaisir à donner vie sous nos yeux à des objets salis, usagés, abîmés, déglingués. Et quand il décide d'adapter Alice au pays des merveilles, forcément le lapin blanc devient une vieille fourrure empaillée et le chat du Cheshire un squelette débraillé. Contrairement à celle de Disney, cette adaptation n'édulcore pas le sadisme de la blondinette présent dans l'oeuvre de Lewis Carroll : les pauvres animaux que rencontre Alice dans son périple en prennent vraiment pour leur grade! Ici toute la magie de l'animation en volume, la même qui habitait les films de Ray Harryhausen, à la fois poétique et troublante, est mise à contribution pour servir les visions absurdes et étranges du livre. Grand fan de Carroll, qui est quand même mine de rien le précurseur du mouvement surréaliste, Svankmajer lui a rendu officiellement hommage deux autres fois, à l'occasion de Jabberwocky et Dans la cave.

 

 

POSSIBILITES DU DIALOGUE (1982)

Primé dans plusieurs festivals et déclaré meilleur court-métrage des trentes années d'existence du festival d'Annecy en 1990, ce court-métrage en trois parties est certainement le plus emblématique du style Svankmajer, de sa façon de prendre un thème et d'en créer une métaphore 100% visuelle : tout est dit dans le titre et l'animation fait le reste. La limpidité du message est d'autant plus désarmante que les moyens utilisés sont rudimentaires. Dialogues de sourds, passions déchirantes ou encore aliénations sociales prennent ici vie grâce à de la terre glaise animée, à une brosse à dent et un tube de cirage, une table en bois, ou encore à des personnages faits d'assemblages d'objets divers semblant tout droit sortis d'une composition picturale d' Archimboldo. Un petit chef-d'oeuvre, je vous dis !

 

 

FOOD (1992)

La nourriture est un des thèmes récurrents dans l'oeuvre de Svankmajer, qui avoue avoir eu une phobie des aliments étant enfant. Du coup, maintenant il se venge dans ses films en leur faisant subir les pires outrages, comme dans Meat Love où deux steaks dansent le tango avant de finir dans la poêle. Dans Food, il caricature le rituel du repas par des processus répétitifs rappelant parfois l'univers procédural de Kafka. L'animation tire, ici encore plus que d'habitude, sa maestria du pouvoir suggestif du montage et des bruitages. Dans les trois parties du métrage (petit-déjeuner, déjeuner, dîner : rien de plus logique!), des personnages se voient transformés en machines distributrices de fast-food, assaisonnent allégrement une partie au choix de leur corps avant de s'en délecter, ou bien dévorent absolument tout ce qu'ils ont à portée de main, serviettes, assiettes, chaises, table, enfin tout quoi! Après ça, vous ne regarderez plus votre steak de la même manière...

 

 

LITTLE OTIK (2000)

Quatrième long métrage de Svankmajer, Little Otik est dans la continuité de Conspirators of Pleasure : après avoir traité la sexualité, c'est le thème de la maternité qui suit. Et comme pour celui-ci, il traîte le sujet au travers de personnages aux comportements compulsifs et obsessionnels, enfin, bien frappés du ciboulot quoi! Tirée d'un conte pour enfants, l'histoire dépeint un couple stérile qui adopte le petit Otik, qui n'est rien d'autre qu'un... hum... un bout de bois! Incarnant toutes leurs frustrations parentales, il va bien sûr prendre vie et avoir une fâcheuse tendance à dévorer tout être vivant l'approchant, depuis le chat domestique jusqu'au facteur. Comme dans les autres films récents du réalisateur, l'animation tient une place relativement minime (principalement le petit Otik) et pourtant les scènes live apportent tout autant d'évocation surréaliste que les scènes en stop-motion, un peu comme si les humains qui jouent dans le film étaient traités comme des marionnettes, des caricatures grand-guignolesques. Cette version trash de Pinocchio terriblement construite suit une évolution implacable, où l'irréel prend de plus en plus de poids jusqu'à une conclusion fatale...

 

 

 

Svankmajer et les objets

Alchimie des objets

"Par une révolution constante et contraire, tous ces corps reviennent dans leur premier état : en se condensant, le feu se change en air, l'air en eau, l'eau en argile. Aucun corps ne conserve sa forme primitive. La Nature, qui renouvelle sans cesse les choses, ne fait que substituer des formes à d'autres formes. Croyez-moi, rien ne périt dans ce vaste univers; mais tout varie et change de figure." Ovide, Les Métamorphoses, livre XV.

Avant même de commencer à faire des films, Švankmajer créait déjà des collages, montages, sculptures constitués eux-mêmes d'autres objets. Les objets qu'il utilise pour ses créations sont triviaux : chaussettes, clefs, fourchettes, brosses à dents, chaussures, taille-crayons, os, coquillages, pain... On retrouve cette utilisation des objets dans ses films. A partir d'objets banals, il va créer autre chose de transcendant, que l'on va appeler objet-montage. En ce sens, on peut parler d'alchimie des objets. On peut penser à la légende pragoise du Golem, celui-ci serait un être animé magiquement constitué d'argile. Non seulement Švankmajer créé des objets-montage à partir d'une matière première (toute sorte d'objets), mais il les anime, leur donne la vie. Le cinéma de Švankmajer est presque un cinéma d'animation, beaucoup nomment son cinéma ainsi ; mais bien que dans la majorité de ses films il y ait beaucoup d'animation, on ne peut pas le réduire à cela.

Les objets-montages peuvent être qualifiés de surréalistes, cette idée d'objets-montages a d'ailleurs déjà été explorée par certains surréaliste, notamment Salvador Dali avec des sculptures telles que la Vénus de Milo aux tiroirs ou le Téléphone-Homard. La fuite dans l'imaginaire surréaliste, le sur-réel, chez Švankmajer est une descente dans la face cachée de la quotidienneté. Un objet est créé selon une fonction qui lui est assignée : une brosse à dents sert à se brosser les dents! Švankmajer détourne les objets de leurs fonctions primaires, soit en les utilisant seuls à d'autres fins, ou bien en constituant des objets-montages. Rimbaud avait dit «Je voyais une mosquée à la place d'une usine». Dans la sphère de la sur-réalité, transcendant celle de la banalité de la vie quotidienne, l'usine n'est plus ce que la société lui assigne comme fonction: usine, mais ce que le surréaliste voit et veut voir : une mosquée. Dans les films de Švankmajer, la fonction qu'il va faire de l'objet que je vois, n'est pas celle à laquelle je m'attends, elle est autre.

 

 

Ces objets-montages sont comme des images surréalistes. Dans certains poèmes ou jeux surréalistes, un vers peut a priori ne rien signifier de concret car les mots formant ces vers et leurs combinaisons semblent choisis aléatoirement (comme ce vers d'André Breton "Les plus belles pailles ont le teint fané sous les verrous"). Cependant ce vers forme une entité à part entière, tout en gardant une certaine hétérogénéité. Exactement comme chez Švankmajer, les objets-montages sont eux-mêmes quelquechose, tout en restant hétérogènes (car les objets constituant ces objets-montages sont visibles dans l'entité que forme l'objet-montage).

On retrouve des oeuvres, formées d'autres objets, vieilles de plusieurs siècles, dans le courant maniériste au XVIe siècle, courant excentrique qui s'éloigne de l'esthétique traditionnelle du classicisme. On retrouve un influence certaine des tableaux de Giuseppe Arcimboldo dans l'oeuvre de Švankmajer et notamment dans des films comme Les Possibilités du Dialogue, et Historia Naturae (suite), ce dernier étant d'ailleurs dédié à Arcimboldo. Les peintures d'Arcimboldo sont des agencements de fleurs, animaux, et toute sorte d'éléments naturels constituant des portraits. Certains de ses tableaux sont très connus, tels que le portrait de l'empereur Rodolphe II, les tableaux représentant les quatre saisons... Ceci nous fait penser aux objets-montages de Švankmajer, mais dans certains films, l'évidence de son influence est encore plus forte. Dans la première partie des Possibilités du Dialogue, Švankmajer anime trois têtes arcimboldesques, ces têtes (de profil) étant constitués de fruits et légumes pour l'une, une autre d'outils de travail, et pour la dernière de livres et d'instruments scientifiques. La première partie de ce film nous montre bien l'influence d'Arcimboldo sur l'oeuvre de Švankmajer et plus particulièrement ces objets-montages qui résultent de l'alchimie des objets. Švankmajer a d'ailleurs créé des tableaux et des sculptures arcimboldesques (et pas seulement des objets-montages, dans le sens où ces oeuvres représentent des visages formés de diverses choses), ce qui montre l'importance que cela tient dans son oeuvre.

  

Des objets vivants et équi-fonctions

Nous avons précédemment parlé de la légende du Golem. En effet, Švankmajer donne la vie (à travers l'animation) aux objets et à ses objets-montages. Comme nous l'avons vu, les objets sont détournés des fonctions qui leur sont assignées, mais, en plus de cela, ces objets semblent très souvent agir de leur plein gré. Ils n'ont pas besoin d'être manipulés, car ils se manipulent tous seuls.

Les exemples les plus évidents se trouvent dans les films L'Appartement et Pique-Nique avec Weissman. Dans le premier, un homme entre dans un appartement, pris au piège, dans lequel les objets se révoltent contre lui. Lorsqu'il se regarde dans un miroir, il voit l'arrière de son crâne; les pieds d'une chaise se raccourcissent lorsqu'il grimpe dessus pour remettre à l'horizontal une photo accrochée au mur; une ampoule fait un trou dans un mur duquel sort un gant de boxe qui frappe l'homme; une cuillère se troue lorsqu'il essaie de manger de la soupe; l'oeuf à la coque qu'il essaie de casser est plus dur que la cuillère, la table, ou même le mur; le lit sur lequel il s'assied se détruit en un tas de sciure etc... Les objets agissent d'eux mêmes, et leur fonction n'est pas leur fonction primaire. Il semblerait même que les objets se révoltent de leur passivité, et de leur uni-fonction (celle-ci étant leur fonction primaire, celle que la société leur assigne). Ils sont contre la fonction que leur assigne la société, ici représentée par l'homme, car celui-ci essaie de les utiliser selon leurs fonctions primaires, mais les objets se rebellent contre cela. On peut d'ailleurs penser à Paul Eluard, qui avait dit "Tout est comparable à tout, tout trouve son écho, sa raison, sa ressemblance, son opposition, son devenir partout". Dans Pique-Nique avec Weissman, tout les objets du pique-nique s'animent d'eux-mêmes (table, chaise, poubelle, lit, gramophone...) et n'ont pas besoin de monsieur Weissman pour vivre. A la fin du film, une armoire s'ouvre, monsieur Weissman en tombe ligoté dans un trou, et est ensuite enterré, par les objets évidemment. L'autorité est représentée, comme dans L'Apparte- ment, par l'homme. Ces objets subversifs se moquent de cette autorité. Švankmajer, de part le fait qu'il créé des objets-montages et détourne des objets de leur uni-fonction, est évidemment en faveur d'une utilisation équi-fonction des objets (ce que l'on voit dans ces sculptures, tableaux...). Il a d'ailleurs écrit "Est uniquement acceptable s'il provient des profondeurs de notre âme, mais non des lois de la civilisation". Ces deux films sont également des allégories contre le pouvoir, le dogmatisme, mais l'oeuvre de Švankmajer est tellement riche que l'on ne peut pas tout traiter en détail.

Seuls certains objets n'agissent pas tout seuls, les marionnettes. Dans les films Faust et La Fabrique des petits cercueils, les marionnettes ont un rôle important et central. Dans les premiers films de Švankmajer, le corps humain était très rarement présent. Plus tard dans sa carrière, Švankmajer représentera l'homme grâce à des marionnettes. Ces marionnettes ne sont justement jamais vivantes d'elles-mêmes, elles sont toujours manipulées par des mains que l'on aperçoit à certains moments dans ces deux films. Si la marionnette n'est pas manipulée, elle n'est rien; Švankmajer montre par cela l'illusion de liberté de l'homme, qui se croit libre, alors qu'il est manipulé, et s'il n'est pas manipulé, il n'est rien.

On voit par l'exemple des marionnettes que des objets remplacent parfois la vision du corps humain, par la suggestion du corps humain (la marionnette représente assez évidemment le corps humain). La Chute de la Maison Usher, est une nouvelle de Poe avec des personnages, cependant l'adaptation qu'en a fait Švankmajer ne comporte aucun acteur. Il a d'ailleurs dit à propos de ce film, dans une interview "J'ai remplacé les gens par des objets". Les objets remplacent donc les gens, mais ils ne les représentent pas forcément figurativement. Poe, pour faire une description, utilise des mots, le lecteur ressentira une émotion d'après cette description, s'imaginera ce qui a été décrit; par analogie, grâce à des images (représentant des objets) Švankmajer va évoquer des sentiments. Les objets sont porteurs d'émotions et d'atmosphères, et pas seulement d'actions.

Le Golem est animé magiquement. Chez Švankmajer, les objets ainsi que les objets-montages viennent à la vie grâce à l'animation du cinéaste.

  

La sensibilité tactile

La sensibilité tactile est très importante dans l'oeuvre de Švankmajer, lorsque le spectateur voit les textures de ce qui constitue ses films (donc celles des objets, murs, meubles etc.), il a la sensation de toucher ces textures. Nous venons de voir que les objets occupent une place essentielle dans l'oeuvre de Švankmajer, alors que dans un cinéma plus classique, ils ne sont que le fond d'une trame. De ce fait, nous pouvons dire et nous l'avons également démontré, que Švankmajer accorde une grande importance aux choix des objets et décors, car ceux-ci sont ses films. Ce qui caractérise les films de Švankmajer est l'utilisation d'objets érodés.

Dans une interview Švankmajer dit "Je préfère les objets qui, à mon sens, ont une sorte de vie intérieure propre. En accord avec les sciences ésotériques, je crois à la conservation de certains contenus dans les objets que des êtres ont touchés dans les conditions d'une certaine excitation de leur sensibilité. Les objets effectivement chargés de la sorte sont ensuite susceptibles, là encore dans certaines conditions, de livrer ces contenus et, à leur contact, se révèlent des associations d'idées et des analogies de nos propres frissons inconscients". En effet, les lieux dans lesquels Švankmajer tourne ses films, les objets qu'il utilise, ont vécus; ils sont donc délabrés, abîmés, semblables à de vieux objets qui ont plusieurs générations, que l'on peut voir dans des brocantes, qui ne valent rien, et que, plusieurs années après avoir acquis, on revendra. On aura connu cet objet pendant un certain temps, mais on ne connaît ni son passé ni son futur, de même lorsque Švankmajer utilise un objet, cet objet a un passé et un futur, que le spectateur ignore. Švankmajer utilise des objets courants et leur vie dans ses films ne représentent qu'une partie de leur existence. De ce fait, on peut qualifier les objets que Švankmajer utilise d'érodés.

L'érosion des objets qu'utilise Švankmajer a une importance esthétique. Lorsque Švankmajer filme un mur lézardé, avec de la peinture qui s'écaille, des légères traces de moisissure, cela évoque une sensation au spectateur, et il est évident que si Švankmajer avait décidé de filmer un mur propre cette sensation aurait été différente, voir inexistante. Tout les objets utilisés par Švankmajer respirent l'usure et le sale, ce qui créé une certaine dimension qui caractérise ses films, puisque comme nous l'avons vu précédemment, les objets ont une importance centrale dans ses films.

Cette usure donne une certaine apparence aux films de Švankmajer, la texture des objets est mise en avant. Le toucher est un sens très important pour Švankmajer et à travers ses films il suggère ce sens. Lorsque Švankmajer était interdit de faire des films, entre 1973 et 79, il dirigeait des expériences tactiles au sein du groupe surréaliste tchèque. Il étudiait les sensations provoquées par le toucher aveugle de certains objets pour en comprendre le contenu émotif. Švankmajer a d'ailleurs également créé des oeuvres tactiles à travers des collages, des sculptures etc. On remarque donc que la sensibilité tactile a une grande importance pour lui. Très peu d'artistes utilisent ce sens dans leurs oeuvres. Dans ses films Švankmajer n'utilise pas ce sens directement, puisque le spectateur ne ressent rien par le toucher lui-même. Cependant Švankmajer utilise beaucoup de matières malléables pour faire ses animations, lorsqu'il créé des formes, il sculpte ces matières de ses mains. Au sein même de la création des films, le sens tactile a sa place. Dans certains films, le protagoniste est parfois sujet d'expériences tactiles. Dans Alice, Alice doit parfois chercher aveuglement dans le fond d'un meuble ou d'un tiroir, des objets (fioles, clefs, biscuits etc.) lui permettant d'évoluer dans le monde dans lequel elle est.

Dans J. S. Bach : Fantaisie en sol mineur, sur fond d'orgue jouant la fantaisie en sol mineur de Bach, Švankmajer filme divers objets très tactiles, dans le sens où le spectateur perçoit presque ces textures comme s'il passait la main dessus (la caméra bougeant lentement horizontalement ou verticalement sur ces textures et objets). La vision de ce film est elle-même un expérience tactile. Ce film devient alors une synesthésie visuelle, auditive et tactile. Le spectateur ne perçoit pas une ou deux sensations comme dans la plupart des films, mais trois.

L'utilisation que fait Švankmajer des objets est différente de celle du cinéma traditionnel. L'utilisation particulière qu'il en fait, lui est spécifique et donne un côté sur-réel à ses films.